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lundi 30 janvier 2012

Anelli: l'esprit du geste virtuose

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Evgenij Kissin - Franz Liszt - Sonata in si minore per pianoforte, R21 (2011) Marco Anelli


Pour qui aime, sait entendre, écoute la musique et laisse jouir ses yeux, de purs moments d’enchantement sont promesses tenues le long des pages de Gesti dell’anima, dernier opus du photographe italien Marco Anelli composé dans la lignée de Musica immaginata, un autre de ses ouvrages dédiés à la musique. Le photographe mélomane scelle ici, dans l’observation de la gestuelle des grands chefs d’orchestre et solistes de notre époque, l’union de deux passions à un exceptionnel niveau de résonance.

Chaque image, renseignée du nom de la partition qui fait naître le geste du musicien identifié, livre la part singulière et secrète d’un concert qui se prépare mais qui, depuis est même advenu puisque les vues ont été prises entre 1997 et 2011 à l’heure de séances de répétitions romaines de ces grands noms qui incarnent la musique classique de notre temps : les chefs Jonathan Nott, Valery Guergiev, Lorin Maazel, Daniel Baremboim, Antonio Pappano, Pinchas Steinberg, Arvö Part, Gustavo Dudamel, les violonistes Vadim Repin, Leonidas Kavakos, Julia Fischer, les pianistes Martha Argerich, Mitsuko Ushida et tant d'autres grands artistes. Les partitions qu'ils font renaître, elles, sont celles léguées au patrimoine de l'humanité par des Franz Schubert, Ludwig van Beethoven, Wolfgang Amadeus Mozart, Johannes Brahms, Fryderyc Chopin, Sergei Rachmaninof, Jean Sibelius, Igor Stravinsky, Sergei Prokofiev etc.

Cet œuvre photographique convie tous les sens à une certaine qualité d’abandon face à la gestuelle de l’esprit, comme une danse de l’âme, aux manifestations de grâce qu'elle fait surgir d’entre les ténèbres. Le noir et blanc de mise s’assortissent aux notes de musique, au clavier du piano, à l’habit conventionnel du chef d’orchestre, ne figent rien de ce qui ne saurait l’être, ne perdent rien des ondes musicales répercutées dans la lumière, l’ombre et le silence, invitent à suivre le ballet même des flux. Les plus mélomanes entendront la musique, les plus observateurs verront les gestes musiciens, les plus doués écouteront et contempleront tout.

Le regard de Marco Anelli fait oeuvre en parfaite harmonie avec la conception que Leonard Bernstein donnait à l'exercice de son art et qu'il propose dans son livre The Joy of Music, en répondant à la question, “comment dirige le chef d'orchestre ?”
« Avec les bras, le visage, les yeux, les doigts, et toutes les vibrations susceptibles d’émaner de lui. S’il conduit avec une baguette alors la baguette doit devenir elle-même une chose vivante, chargée d’électricité, qui fait de lui un instrument signifiant au moindre de ses mouvements. S’il ne se sert pas d’une baguette, ses mains doivent œuvrer avec la même clarté. Mais avec ou sans baguette, ses gestes doivent avant tout et toujours porter une signification en termes de musique. »
Le photographe connaît bien la musique, sait déjà par coeur bien des mains et des yeux, instruments, baguettes et clés de sol, pupitres et métronomes, il interroge plus avant l'interprétation gestuelle d’une œuvre musicale dont le compositeur pourtant sensible à la fiction sonore aurait bien eu du mal à imaginer que sa musique puisse être interprétée autrement que par un être de chair, ancrée dans le réel, de l’interprétation au moins, et puisse tenir encore le haut de l'affiche des plus grandes salles de concert du troisième millénaire.

Marco Anelli est le témoin privilégié d'une communication d'un autre temps entre des sphères d'indicibilité et dont le chef détient les codes. Il doit être doué du « pouvoir de tout transmettre à son orchestre », rappelait Bernstein en soulignant bien que, dans le cadre de la direction orchestrale, il s'agissait de ces choses « intangibles, de ces mystères qu'aucun chef ne peut apprendre et acquérir. »

Les mélodies s'infiltrent au coeur de ce qui anime l'autre, tous les autres, elles ensorcellent toutes les rondeurs du monde et traversent les plus épais remparts dressées entre les êtres. Bernstein sentait que « par la musique nous accédons au plus près des plus secrètes émotions d’un autre humain. De fait, nous en ressentons la présence. Nous en pénétrons presque la pensée. Nous pensons ensemble.»

La musique s’accorde à la pensée et ce n’est pas une illusion de poésie bien qu'elle lui réponde amplement aussi, les yeux de Marco Anelli poursuivent le mouvement, en captent les ondes, en portent l'écho. Une vie d’intensité prodigieuse se joue à chaque seconde et témoigne de la richesse qualitative et quantitative de l’énergie physique, spirituelle et émotionnelle de celui qui abrite et vit la musique, de celui qui en vit, qui en joue pour n’être plus que musique en présence. 

L'orchestra nazionale di Santa Cecilia répète dans l'auditorium de l'Académie. La pianiste Mitsuko Ushida, paupières closes, cède corps et âme à Mozart, ses traits épousent les airs du concerto qui vibre le long de toutes ses cordes de virtuose, et renaît au bout de ces doigts qui ravissent le monde. Du regard levé au ciel aussi ou de ses poings dressés haut, au-dessus du clavier, d’autres musiques résonnent en parallèle, dans l’esprit de celui qui observe et se souvient, de celui qui écoute et entend, sans jamais rompre l’harmonie du tout, de celui qui est musique. Majesté et solennité règnent sur ses transes.

Chacune des images de ce recueil porte la réelle présence de la musique et de plus élevé encore au gré des affinités électives. Le philosophe George Steiner, dans Réelles présences, soulignait « que nous le voulions ou pas, ces questions immenses et banales autant que l'impératif du questionnement, qui constitue l'identité de l'homme, font de nous les voisins immédiats du transcendant. La poésie, les arts, la musique sont les instruments par lesquels s'exprime ce voisinage ».

Pour Steiner, aucun doute, la musique signifie. Elle fournit la « substance absolue à ce que j'ai cherché à suggérer de la présence réelle, disait-il, dans le sens où cette présence ne peut pas être montrée analytiquement ou paraphrasée ».  Elle se ressent et s'éprouve, elle envoûte celui qui l'apprivoise. Elle se laisse photographier parfois.

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Arvo Pärt, Cantus in Memoriam Benjamin Britten (2010) Marco Anelli  
Le compositeur Arvo Pärt se retire en musique, en prière, comme à la tête d'une cérémonie religieuse. A l’heure de son Cantus in Memoriam Benjamin Britten, le musicien offre une paradoxale présence, toute de connivence avec le geste du chef Tönu Kaljuste et de pénétration de la mémoire du grand compositeur anglais qu’il salue au-delà. 

Le héros de Marcel Proust, Swann, avait éprouvé pour la musique « comme un amour »  qui « l’entraînait avec elle vers des perspectives inconnues ». A la recherche du temps perdu, il « trouvait en lui, dans le souvenir de […] certaines sonates qu’il s’était fait jouer pour voir s’il ne l’y découvrirait pas, la présence de ces réalités invisibles auxquelles il avait cessé de croire. »

Le souvenir de gestes et de notes tant de fois répétés, ceux et celles qui faisaient souffrir, qui ne se révélaient pas, ne donnaient aucun fruit, résistaient à tous les appels, finissaient un jour par céder une part du mystère. La musique insuffle une magie, le musicien semble avoir le pouvoir d’éveiller toutes les forces, il les convoque et les éprouve le premier. Il transporte mais il est le premier transporté, s’il ne l’était pas il ne transporterait personne. 

Le chef coordonne les transports de son orchestre tout en révélant le sien, à l’image de l'impétuosité des gestes de Pinchas Steinberg, l’esprit pourtant manifestement en retrait, à l’écoute, au fond de la musique même dont il puise l’extrême attention nécessaire à la conduite du Tristan et Iseult de Richard Wagner.

La musique du compositeur allemand avait subjugué Charles Baudelaire au point d’un extraordinaire émoi avoué dans les lignes d’une Lettre à Wagner datée du 17 février 1860. Au lendemain d’une série de concerts donnés à Paris auxquels le poète avait assisté, Baudelaire confiait au musicien s’être tout d’abord trouvé pris de vertige au bord de l'indicible : 
« J’avais commencé à écrire quelques méditations sur les morceaux de Tannhäuser et de Lohengrin que nous avons entendus; mais j'ai reconnu l'impossibilité de tout dire.»
« Il me semblait que cette musique était la mienne et je la reconnaissais comme tout homme reconnaît les choses qu'il est destiné à aimer, déclarait-il à Wagner. Pour tout autre que pour un homme d'esprit, cette phrase serait immensément ridicule, surtout écrite par quelqu'un qui, comme moi, ne sait pas la musique, et dont toute l'éducation se borne à avoir entendu (avec grand plaisir, il est vrai) quelques beaux morceaux de Weber et de Beethoven. » 


Beethoven doit surgir. Symphonies du sentiment, chargés de chuchotements et frissons d’amoureux, de vœux de volupté, de grondements guerriers, et tant d'épanchements d'âme que la musique romantique souffle toujours sur ses gammes. Le geste fait sens. Tel un prophète, le chef guide. Nulle machine n'est encore en mesure de le remplacer, mais des scientifiques cherchent avec avidité les trucs de ces sorciers. 


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Valery Gergiev - Ludwig Van Beethoven – Sinfonia n.5 in do minore, Op. 67 (2009) Marco Anelli

Dans l’emportement du corps, l’esprit doit demeurer serein, présent dans la délicate performance qu’ensemble ils accomplissent. Le violoniste Repin excelle, tout l’être de Gergiev s’envole, ses mains changées en ailes. Que le violon se brise et c’est la chute de l’ange. Le virtuose tient toujours ferme, sous son tact exigeant, les cordes lui entailleraient les doigts qu’il ne le sentirait pas.L'instrument est merveille, objet de toutes les attentions, il incarne le mouvement des sentiments, l'entraîne au plus haut vers les cimes. Tristement, la haine, la guerre et beaucoup d'ignorance piétinent les violons. 

Gesti dell'anima, Marco Anelli, postface de Giovanna Calvenzi (Ed. Peliti Associati)





                                                         Valery Gergiev - Vadim Repin - Ludwig van Beethoven ''Violin Concerto in D-dur, op. 61''

mardi 20 juillet 2010

Preljocaj, la danse viscérale

Le Sacre du Printemps (photo Jean Barak - Ballet Angelin Preljocaj - Partition Igor Stravinsky) 
 « Nous transportons avec nous le trouble de notre conception. Il n'est point d'image qui nous choque qu'elle ne nous rappelle les gestes qui nous firent. »  - Pascal Quignard

Le centenaire des Ballets russes (1909-1929) de Serge Diaghilev (1872 - 1929) a été célébré à nouveau avec magnificence les 8 et 9 juillet derniers, sur les eaux du Bassin de Neptune à Versailles, par le ballet du chorégraphe Angelin Preljocaj, avec la programmation de ses créations Noces (1989) et Le Sacre du Printemps (2001) sur les grandioses partitions d'Igor Stravinsky (1882 – 1971).

Les liaisons entre les deux pièces sont multiples et infiniment subtiles mais Angelin Preljocaj a choisi de tirer le fil conducteur qui lui tient le plus à cœur, celui qui les noue l’une à l’autre dans la plus grande puissance : le désir charnel perçu en danse viscérale.

Par ce fil, il va remonter le temps. Avec Noces, il s’attache à révéler cette énergie sexuelle, vitale telle qu’elle s’exprime à l’ère contemporaine, où désormais la société organisée tente non sans peine de la canaliser, d’en dompter l’extraordinaire violence venue du fond des âges, de lui imposer un cadre, de lui fixer des règles, d’en amoindrir la crudité. Et malgré l’effort dramatique déployé en formidables stratagèmes en vue de taire la bestialité à la racine de l’être, toute la tension de la chair demeure vive, à peine voilée, impossible à abolir, et continue de régner, pleine de son pouvoir qui coule dans les veines, feignant seulement de se laisser contenir pour ne jamais abdiquer. Ainsi, aux yeux du chorégraphe, la cérémonie du mariage scelle le pacte tragique du « rapt consenti ».

Entre chien et loup, sur la scène érigée au beau milieu des eaux, le banquet des Noces est dressé. Cinq bancs de bois, cinq hommes de belle mise, portant pantalon noir, chemise blanche et cravate noire, cinq jeunes femmes d’allure slave, vêtues court de robes de velours, tous semblent d’abord indifférents aux cinq poupées de chiffon d’une blancheur virginale figurant les mariées, lumineuses absentes en présence, esseulées en marge de la fête archaïque qui bientôt bat son plein pour célébrer leur funeste destin. La musique et les chœurs prennent ampleur, rythment la montée d’un sombre désir qui échauffe l’atmosphère de bal et d’ivresse, se joue de la jeunesse qui s’ébat de batailles en caresses.

En jeunes félins qui d’instinct se mesurent les uns aux autres, hommes et femmes se reniflent et se frôlent, se câlinent et se frottent avec grâce, mais farouches s’agitent, se cherchent et se fuient entre les bancs, souvent se violentent sous mille feux de lumière éclatant en diamants. 

Ces couples de fiancés enivrés d’alcool et de passion se heurtent et s’accrochent en corps à corps agiles et lestes, bondissent et traversent les airs gonflés de peur et de désir, s’étreignent et se repoussent avec force pour mieux s’aimanter en corps, se rencontrer au cœur d’une angoisse ancestrale mêlée de tendresse affolée, et puis hors d’haleine, s’apaisent quelques instants, s’apprivoisent le temps d’un repos fugace et amoureux sur un banc, s’enlacent de guerre lasse, avant de repartir en lutte, le goût du sang et du sexe appelé sur les lèvres par des effluves qui s’élèvent tragiques comme la musique chorale tout autour des blanches et tristes mariées, soumises à la volonté du clan, que chacun aura fait virevolter à sa guise, avec désinvolture, sans nul égard et de s’en débarrasser prestement dans la nuit barbare comme on s’éloigne d’un feu de malheur prêt à tout embraser, car il est l’heure. L’heure du sacrifice a sonné.

Rien n’a changé.

Ces quelques moments d’ivresse ont suffi à faire remonter du temps les jours primitifs où le sacrifice suprême d’une vierge, élue au sein du clan païen, rituel d’une violente et sauvage frénésie, devait amadouer le Dieu slave du Printemps, Iarilo.

S’impose dès lors Le Sacre du Printemps. Au cœur de la nuit des temps, les notes d’un paisible basson s’élèvent au-dessus de six monticules d’herbe tendre et fluorescente où reposent, telles des fleurs irisées, autant de jeunes hommes alanguis, nonchalants, avant que ne viennent, une par une, six jeunes filles en jupes courtes et corsages bigarrés, d’un air détaché, provoquer leur désir, se libérant d’emblée, avec habile et désinvolte lenteur, de leur blanche petite culotte qu’elles font glisser des deux mains le long de leurs jambes nues et qu’elles garderont quelques instants sur leur fines chevilles en amorçant quelques pas délicats. 

Enfin, d’adroites et sensuelles attitudes leur suffiront à abandonner au sol la petite pièce de tissu, devenue symbole de la nudité du sexe offert à la convoitise des jeunes gens qui, pour l’heure, observent les séductrices dont la beauté virevolte avec insouciance. Ils n’y résisteront pas longtemps, et sans quitter leur élégante nonchalance, instinctive, animale, ils s’en vont recueillir l’objet, dont ils s’empressent de respirer l’odeur d’intimité, avant de l’enfouir résolument dans la poche de leur pantalon. Chacun a trouvé sa chacune. Et déjà, s’échauffe le désir mâle qui, se heurtant au féminin refus, monte en puissance, gronde furieusement dans les veines. Impérieux.

Au gré de courses folles, de rondes adolescentes, abandonnant l’innocence, un violent printemps russe s’apprête à s’enflammer pour bientôt faire résonner en symphonie de cuivre, cordes, bois et percussions tous les « craquements de la terre » adorée.

Aux rythmes chaotiques d’une partition complexe et envoûtante, le rituel primitif et tribal, au plus près de la bestialité, se déchaîne. La jeunesse aux instincts débridés s’embrase dans l’exploration étrange et grave des corps et de l’espace, s’affranchit et s’entrechoque en palpitations primaires, de contractions de chair en spasmes morbides, de tensions extatiques en émotions puériles. 

A la fois humaines et animales, divines et démoniaques, ces créatures de la Terre aux prises avec un insatiable appétit de vie et de mort se livrent, dans une extraordinaire et terrifiante explosion d’érotisme sauvage entraînée par la fureur des percussions musicales, à une lutte sexuelle acharnée que remportent dans le viol des femelles les mâles tout entiers possédés par la puissance d’un désir forcené de jouissance charnelle.

Les jeunes proies aux chairs endolories, se relèvent lentement de ce cruel jeu du rapt, peinent à retrouver leur morgue mais bien vite le clan se reforme et sous une divine lumière d’or, tous les corps étendus sur la Terre s’adonnent à son adoration

Pris par une impétueuse transe tissée d’une frénésie d’ondes et de vagues, ils appellent à l’union du Ciel et de la Terre avant de composer leurs cercles mystérieux. Têtes baissées, épaules voûtées, pieds en dedans, à la queue-leu-leu, ils défilent entre deux talus d’herbe verte sur un même rythme étrange, en une nouvelle transe saccadée, toute en retenue, qui semble venir du plus profond des âges et se devine incantatoire, porteuse de prières au renouveau printanier.

Enfin, à force de jeux mystiques, le clan va jeter son dévolu sur la jeune fille qui deviendra l’Elue contre son gré. Biche aux abois, cernée par ceux qui étaient les siens devenus fauves déterminés, elle tente désespérément de repousser leurs assauts brutaux, d’échapper à toutes ces mains qui s’agrippent à chaque parcelle de son corps qui semble hurler toute sa peur et son refus. 

Mais elle ne peut guère résister à tant de sauvagerie. Plaquée dans l’herbe verte, violentée, meurtrie, saisie de tous côtés après la chute, ses vêtements ont tôt fait d’être arrachés, elle gît abandonnée dans « sa simplicité inapparente. » 

Dès lors, sa nudité éclate de toute sa splendeur, souveraine en pleine lumière, à la stupéfaction du clan ramené soudain à ses ténèbres. Extraordinaire, la nudité de l’Elue n’apparaît plus à leurs yeux comme un simple état, une forme ou une possession stable, mais s’appréhende en tant qu’événement plein et solennel. Désormais hors de portée, impossible à retenir, cette perle du Paradis, comme lui, fatalement perdue, peut dès lors embrasser son destin. Forte de sa nouvelle dimension quasi-divine, l’Elue se redresse et affronte la tribu prête à se prosterner, saisie d’effroi, qui recule face à sa nudité en gloire.

D’une blancheur laiteuse, corps sculptural sous tension, du feu dans le regard, prise d’une excitation incontrôlable, possédée par toutes les puissances cosmiques, la jeune fille entame son détachement du monde, en un ouragan de rythmes primitifs, de percussions terribles et de gestes furieux, elle danse à mort dans l’herbe verte. Sa danse ultime et sacrificielle, offerte au Dieu du Printemps, doit sauver la Terre.