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mercredi 1 mai 2019

Sumô, l'art du temps métaphysique

Un rikishi au tournoi de sumô de Fukuoka, au Japon – novembre 2018 (c) Zoé Balthus
Le palais des Sports de Fukuoka, cité portuaire sur l’île de Kyûshû à l’ouest du Japon, accueille le dernier basho1 de l’année, saison officielle de sumô d’une durée de quinze jours, chaque mois de novembre. Je suis assise dans les gradins, côté est, depuis 8h00 en ce 11 novembre 2018.


Le public, clairsemé aux premières heures de cette première journée de tournoi, s’est étoffé avec lenteur tandis que les lutteurs de sumô des catégories infé- rieures menaient leur combat dans l’espoir de se hisser dans la hiérarchie jusqu’à voir leurs noms apparaître un jour au classe- ment général, le prestigieux banzuke. Y sont actuellement classés, du rang le plus bas au plus élevé, vingt-huit champions juniors, jûryô, suivis des maku-uchi compre- nant trente-deux maegashira (champions), deux komusubi (grands champions aspi- rants), deux sekiwake (grands champions adjoints), trois ozeki (grands champions) et trois yokozuna (champions suprêmes) qui ne disputent qu’un combat par jour. Les ozeki ne luttent qu’en fin de journée avant les yokozuna qui finissent vers 18h00.
Cinq jeunes femmes portant chignon et kimono de soie bigarrée, perchées sur leurs geta, socques traditionnels, avancent les unes derrière les autres, à petits pas, dans la coursive sud avant de s’installer avec grâce dans des box de catégorie supérieure. Juste à temps. La clameur s’intensifie dans la salle désormais comble avant dohyô-iri, cérémonie d’entrée des lutteurs (rikishi). Il est 16h00, les lutteurs demi-nus, aux corps à la fois musclés et gras, apparaissent. Ils sont près d’une vingtaine de colosses, aux visages impassibles, à entrer par l’allée sud-est dans l’immense salle, emmenés par un arbitre à l’allure de prêtre shinto vêtu d’un shozoku — sorte de kimono de soie — rouge chatoyant, aux motifs dorés, et coiffé d’un couvre-chef noir en toile laquée. L’atmosphère s’électrise, des flashs crépitent, des cris d’admiration fusent sur le passage du cortège hiératique. Mouvant leur masse à la nonchalance pachydermique, ils avancent en file indienne en direction du mori-dohyô, plateforme d’argile haute de 60 cm.  [...] 

Extrait de Sumô, l'art du temps métaphysique, récit de Zoé Balthus à paraître le 15 mai 2019 dans le numéro de printemps de la revue La moitié du fourbi dont le mot d'ordre est : Vite.

                                       Last basho for Japanese Yokozuna Kisenosato at Fukuoka - Japan 2018 © Zoé Balthus


Au sommaire de ce numéro : 

Tristan Tzara (texte)Thaddée (collage) / Un passant  Paul Fournel / L’œil de l’Oulipo : La littérature a-t-elle horreur du vite ?  Lucie Taïeb / Comète  Hugues Robert / Esthétique politique du défouraillement  Philippe de Jonckheere / La cordelette (un épisode cévenol)  Guillaume Duprat (dessins & texte) / Inflation éternelle  Anthony Poiraudeau / Courses et poursuites dans Los Angeles  Zoé Balthus / Sumô, l’art du temps métaphysique  Frédéric Fiolof / Raccourcis  Marjorie Ricord / À l’immédiat, la déraison  Marc-Antoine Mathieu(dessins)Antoine Gautier (présentation) / Trois secondes (extraits)  La m/f / 7,7 millions de millisecondes, conversation avec Alexandre Laumonier  Valérie Cibot / Yoga du temps Véronique Bergen / Martha Argerich. L’Art des passages Matthieu Raffard & Mathilde Roussel (photographies et texte) / Accélération  Marie Willaime / Baies rouges — Breuverie  Hugues Leroy / Trottoir  Hélène Gaudy / En cours  Antoine Mouton / À très vite