All rights reserved © Claude Rouyer |
« Devant la petite ville est assis un petit nain,
Derrière le petit nain se dresse un petit mont
Du petit mont s’écoule un petit ru,
Sur le petit ru flotte un petit toit,
Sous le petit toit il y a une petite chambre,
Dans la petite chambre est assis un petit garçon,
Derrière le petit garçon se dresse un petit banc,
Sur le petit banc repose une petite armoire,
Dans la petite armoire il y a une petite boîte,
Dans la petite boîte gît un petit nid,
Devant le petit nid est assis un petit chat,
Il faut que je note cette petite place-là. »
Derrière le petit nain se dresse un petit mont
Du petit mont s’écoule un petit ru,
Sur le petit ru flotte un petit toit,
Sous le petit toit il y a une petite chambre,
Dans la petite chambre est assis un petit garçon,
Derrière le petit garçon se dresse un petit banc,
Sur le petit banc repose une petite armoire,
Dans la petite armoire il y a une petite boîte,
Dans la petite boîte gît un petit nid,
Devant le petit nid est assis un petit chat,
Il faut que je note cette petite place-là. »
Dada et poupée, cette comptine de 1843 signée J.P. Wich et dénichée par Walter Benjamin dans « un vieux livre de leçons de choses », s’entend presque dans les photographies de Claude Rouyer, ses fragments de fables interprétés au sein d'un petit théâtre minimaliste, aux tonalités surannées en résonance parfois avec certains contes extraordinaires des frères Grimm.
S’y inscrivent des personnages récurrents, que l’artiste met en scène dans des bois, des prairies, sur fond de mur bleu ciel, au cœur d’une chambre de grand-mère. Ce sont des lieux qui n’appartiennent à personne ou à tout le monde, que l'on connaît déjà, des non-lieux en somme, à l’abri du temps, à l’abri du sens.
Et l’on savoure l’émotion entière, pareille à ce qui s’éprouvait autrefois dans les veillées autour d’un conteur justement, les soirs d’été au jardin ou l’hiver devant l’âtre, l’esprit captivé par ses histoires à faire peur, rire ou pleurer.
De chaque image, telle une pochette-surprise, jaillissent ses scènes acidulées, toutes plus extravagantes les unes que les autres. De curieuses métamorphoses d’enfants et de vieilles dames se succèdent. Les personnages s’exhibent dans le jeu, font feu de tout bois, sans débauche ni de détail, ni de luxe. Les accessoires et les costumes sont humbles, comme autant de trouvailles sorties tout droit d’une vieille malle abandonnée dans un grenier, et reviennent régulièrement à l'instar des petits comédiens eux-mêmes, d’une scène à l’autre. Mais toujours autrement, soit au fond du connu pour trouver le renouveau, en prenant tranquillement le contre-pied de Baudelaire, ce visionnaire qui avait pris en grippe la puissance de la photographie.
Et l’on reconnaît une chute de tissu, un rideau devenu familier, des édredons et des tapis, la robe de satin noir et la perruque rousse, la cape de pluie jaune pâle et le bonnet de bain rose. Un édredon bouton d'or vole dans l’embrasure d’une porte, un autre rouge recouvre le corps de l'enfant au souper, une main plane au-dessus du nez, on mange des poils à la cuillère, on saisit des nuages, on fait des expériences avec tout ce qui tombe sous la main, à l’écart de toute signification. On grimace, on se grime, on se grise, on délire. On déguise tout, même les arbres des forêts. Et tout un monde magique se cristallise dans l’instant.
« On dirait que t’aurais quatre jambes… »
Qu’à cela ne tienne, et deux gambettes d’un poupon démembré se greffent aussitôt le long des cuisses juvéniles d’un petit garçon en slip de kangourou blanc, et qui les accueille le plus sérieusement du monde. Une autre fois, la tête de poupon lui poussera dans la nuque. On pouffe en coulisses.
Travestissements, fantaisie et énergie créatrices, fondent l’univers de Claude Rouyer où l’imagination de l’enfant s’abîme en ses propres fonds, dans l’enchantement et le frisson. Elle rend justice aux jeux d’enfance, à l’intuition pure de la possibilité des mondes. L’enfant a des ailes, quand il veut, s’il le veut. Ses envies, rêves et désirs ne rencontrent nul obstacle.
« On dirait que je serais invisible... »
De fait, il disparaît et si son frère affirme qu’il ne le voit plus, le rêve est à son comble.
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Le feu aux joues, la carnation rose et tendre et, dans les yeux, toujours une invitation impérieuse, provocante, comme un air de défi, au beau milieu des mascarades, les mômes délicieux séduisent, enchantent, amusent, attachent.
« J’fais ce que je veux d’abord ! »
On fait n’importe quoi, précisément, avec n’importe quoi. On construit une cabane en carton en plein champ, on devient monstre dans les prés, on s’invente des seins avec des pommes dans un verger et dans les foins, on s’admire en narcisse trouble au fond d’un miroir à quatre pattes.
Farces improvisées sorties du chapeau, devinettes et sornettes à rire aux éclats, en couleur, pleines de l’exubérance et de l’innocence émouvante de l’enfance, ainsi s’épanouissent les contes de Claude Rouyer. Mais c’est aussi un monde inquiétant qui occupe et anime l’esprit des petits et bien une fascinante superposition de sens qui se livre au regard, oscillant entre humour et drame.
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Quand on est petit, on aime rire, on aime avoir peur aussi, alors on crie et on rit à la fois, comme on aime voir et pas voir à la fois. On se cache les yeux derrière une main, et on écarte les doigts pour regarder quand même ce que l'on redoute de voir.
« Promenons-nous dans les bois… »
Là, où vivent les loups aux dents longues qui mangent les enfants, les ogres qui les font cuire, les sorcières qui les transforment en affreux petits crapauds. L’aventure de la forêt a commencé, et l’artiste la narre à la manière de John Tenniel pour Lewis Carrol, Alice, Tweedle-dee et Tweedle-dum.
Perception des formes et des mouvements toute chamboulée et perte des repères caractérisent les péripéties de l’artiste et son gang de comédiens.
Il était une fois… de subtiles vanités. Un carnaval entre les arbres, un cache-cache entre les fougères, une promenade initiatique et mille échos d’angoisse dans les feuillages, de pleurs dans les ruisseaux. C’est le temps de l’épreuve de cet espace potentiellement tragique, que l’enfant d’abord rêve d’explorer, avant de s’inquiéter, de s’y perdre, de devenir le petit Poucet qui s’ingénie à se sauver. Il s’imagine, épuisé de frayeur et de faim, devoir se blottir au creux d'un arbre où s'endormir. Il devine que le soir enveloppera bientôt la grande forêt, et que la présence secrète de la méchante sorcière, prête à jeter ses sorts maléfiques aux effets énigmatiques, ne saurait être exclue.
L’on sera bientôt bouleversé par la découverte d’un lit de feuilles mortes où git un petit corps dont l’attitude en présence, camouflée par un tapis, semble plus que suspecte. Instant lourd de malaise face à une scène de fait divers. Les contes ne nient jamais, au grand jamais, que les ogres, les monstres et les sorcières existent en vrai.